Les parents qui rêvent que leurs enfants deviennent des athlètes professionnels et les entraîneurs qui croient que le dévouement résolu est le seul moyen d’atteindre le sommet de leur sport ont contribué à une augmentation de la spécialisation sportive précoce. Cependant, de nombreux chercheurs, entraîneurs et athlètes ont réfuté cette tendance, citant une série de répercussions négatives liées au développement des habiletés et au risque de préjudice physique et psychologique.
Qu’est-ce que la spécialisation précoce?
Des experts en psychologie du sport, en développement des talents et en médecine du sport se sont récemment entendus sur une définition de la spécialisation précoce (LaPrade et coll., 2016). Cette définition comprend trois critères :
- La participation des enfants prépubères
- La participation à un sport, excluant les autres
- La participation à des entraînements intensifs et/ou à des compétitions dans un sport organisé pendant plus de 8 mois par an
Que disent les gens au sujet de la spécialisation précoce et de l’épuisement?
Les mêmes experts qui ont défini la spécialisation précoce ont également déclaré qu’il n’y a aucune preuve que les jeunes enfants bénéficieront d’une spécialisation sportive précoce dans la majorité des sports. Elles sont sujettes à des blessures liées à la surutilisation et à l’épuisement en raison d’une activité concentrée. (Laprade et coll., 2016, p. 1).
La définition la plus largement acceptée de l’épuisement d’athlète le décrit comme un syndrome psychologique caractérisé par l’épuisement émotionnel et physique, un sentiment réduit d’accomplissement dans le sport et une dévalorisation du sport (c.-à-d. que l’athlète ne valorise pas le sport ou ne s’y intéresse pas autant que par le passé) [Raedeke, 1997].
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous pourrions voir une relation entre la spécialisation précoce et l’épuisement :
- Des volumes d’entraînement importants et un temps de récupération insuffisant peuvent entraîner un surentraînement et de la lassitude, ce qui peut contribuer à l’épuisement physique et à d’autres aspects de l’épuisement.
- Des niveaux élevés de pratique délibérée et peu de temps pour jouer peuvent entraîner une diminution du plaisir, ce qui est associé de façon négative à l’épuisement.
- Un entraînement intensif très structuré peut donner aux jeunes athlètes l’impression qu’ils ont très peu de contrôle ou d’influence sur leur participation au sport.
Toutefois, un examen attentif des recherches disponibles révèle que bon nombre des mises en garde au sujet de l’association entre la spécialisation précoce et l’épuisement se fondent davantage sur la théorie que sur des preuves réelles. La plupart des recherches sur la spécialisation précoce proviennent d’une perspective de développement des talents ou de prévention des blessures. On en sait moins sur la relation entre la spécialisation précoce et les résultats psychosociaux ou comportementaux, comme l’épuisement et l’abandon du sport.
Nous avons entrepris de mener une étude qui ajouterait des données empiriques aux recherches sur la spécialisation précoce et l’épuisement (Larson, Young, McHugh et Rodgers, 2019).
Conception de la recherche
Le projet de recherche comprenait des sondages auprès de 137 jeunes nageurs (âgés de 12 à 13 ans) de partout au Canada et a mesuré leur niveau de plaisir, leur engagement, leur épuisement et leurs intentions de continuer à nager la saison suivante. Une entrevue au début de la saison suivante a été faite pour confirmer si les athlètes continuaient de pratiquer la natation ou s’ils avaient abandonné. Les parents ont fourni des renseignements détaillés sur les antécédents sportifs de chaque nageur, à l’appui d’une évaluation des niveaux de spécialisation précoce.
La spécialisation initiale a été mesurée de plusieurs façons différentes, à l’aide d’une variété d’indicateurs. Par exemple, nous avons examiné l’âge auquel les nageurs ont atteint certains jalons associés à l’entraînement intensif, comme le début de l’entraînement en milieu aride ou la participation à des camps d’entraînement. Nous avons également examiné le nombre d’années entre 6 et 12 ans où les nageurs s’entraînaient et participaient à des compétitions de natation seulement pendant plus de 8 mois par année.
Résultats de la recherche
À la surprise de l’équipe de recherche, les résultats ont révélé que les relations entre ces indicateurs de spécialisation précoce et d’épuisement étaient minimes ou inexistantes et, dans certains cas, la spécialisation précoce était associée à une plus grande intention de continuer à nager en compétition et à une probabilité réduite d’abandon. Ces résultats vont à l’encontre de la plupart des théories des ouvrages existants et de certaines études empiriques antérieures.
Interprétation des résultats
Il y a quelques explications possibles à ces résultats inattendus :
- L’échantillon de recherche était assez jeune et comportait divers niveaux de compétition. Une relation entre la spécialisation précoce et l’épuisement pourrait être plus marquée dans un échantillon plus âgé et de niveau élite.
- Les recherches sur la spécialisation précoce ont été entravées par l’absence d’une définition et d’une mesure normalisées. Bien qu’il existe une définition et une mesure largement acceptées de l’épuisement dans la psychologie du sport ( the Athlete Burnout Questionnaire; Raedeke et Smith, 2000), les recherches et études antérieures en médecine du sport pourraient utiliser des définitions différentes, ce qui rend difficile la comparaison et la synthèse de ces résultats.
- Il se peut que le contexte dans lequel se déroule l’entraînement soit plus important que le degré de spécialisation précoce quand on pense à l’épuisement. Après tout, ce ne sont pas tous les athlètes qui se spécialisent tôt qui finissent par s’épuiser. Horn (2015) a mentionné que si les besoins psychologiques des jeunes athlètes sont satisfaits, ils pourraient être protégés des effets potentiellement négatifs d’une spécialisation précoce. Toutefois, nos constatations actuelles et un examen plus approfondi des études antérieures laissent croire que la spécialisation précoce en soi peut en fait être neutre; le contexte dans lequel elle se produit est ce qui détermine si les résultats sont positifs ou négatifs.
Principales conclusions
Les contextes d’entraînement sont en grande partie façonnés par les entraîneurs et les parents. Que l’athlète soit ou non un spécialiste précoce, on devrait garder ces choses à l’esprit :
- Volume d’entraînement. Il est recommandé aux athlètes d’éviter de s’entraîner plus d’heures par semaine que leur âge en années, afin de prévenir les blessures de surutilisation. Ceci est particulièrement important lorsque leur entraînement se déroule dans un seul sport (Jayanthi, LaBella, Fischer, Pasulka et Dugas, 2015).
- Possibilités d’autres activités. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de participer à plusieurs sports pour prévenir l’épuisement, si un athlète veut explorer d’autres activités sportives ou non sportives, il devrait avoir l’occasion de le faire. Si l’athlète est forcé de choisir entre deux ou plusieurs activités attrayantes, il pourrait éprouver du ressentiment et être plus enclin à l’épuisement et/ou à l’abandon (Larson, McHugh, Young et Rodgers, 2019).
- Autonomie. Les athlètes devraient sentir que c’est leur choix de participer à ce sport. Si leur participation au sport est forcée ou sous pression, l’épuisement et/ou l’abandon sont plus probables (Li, Wang et Kee, 2013).
- Compétence. Les athlètes ont besoin de sentir qu’ils sont bons à quelque chose. On devrait mettre l’accent sur la façon dont ils s’améliorent et acquièrent de nouvelles compétences, plutôt que de comparer leur rendement à celui des autres (Li et coll., 2013).
- Liens. De solides relations positives avec les entraîneurs et les coéquipiers peuvent rendre les lourdes charges d’entraînement plus supportables et même agréables. Il est important de favoriser un sentiment d’appartenance. L’intimidation ou l’exclusion doivent être éliminées immédiatement (Larson, McHugh et coll., 2019).
- Motifs multiples de participation. Il viendra toujours un moment où un athlète n’améliorera plus ses performances passées. La clé du maintien de la participation au sport tout au long de la vie consiste à mettre l’accent sur les raisons pour lesquelles la participation au sport n’est pas seulement liée à la performance, comme la condition physique, le bien-être mental, le plaisir et les aspects sociaux positifs (Larson, McHugh et coll., 2019).